Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas. L’an passé, la pibale était une denrée rare et brillait par son prix astronomique (600 à 1000 euros le kilo). Cette année, la pêche est prolifique mais la consommation est réduite à la portion congrue par les quotas décidés en période de pénurie: le repeuplement est devenu la priorité pour éviter la disparition de l’anguille.
Donc, si la pêche, qui est suspendue (les quotas sont atteints), ne rouvre pas ce mois-ci une dizaine de jours –ce que croit Jean Coussau, le chef et propriétaire du Relais de la Poste, à Magescq (40)- les pibales vivantes ne pourront plus s’inviter sur les tables des restaurants sauf par le miracle du système D qui, dans notre pays, se porte bien. Reste que les professionnels qui ont anticipé en s’approvisionnant tôt et en congelant les civelles ne sont pas démunis.
Le gluant pour garder le goût
Prévoyant, Michel Batby, à Soustons (40), s’est organisé pour pouvoir satisfaire la clientèle amoureuse de la pibale. Il n’est pas un débutant, au début des années 1980, l’époque où la pibale se payait 18 ou 20 francs le kilo, le Relais du Port, l’adresse qu’il exploitait à Saubusse, avec Martine, sa femme, recevait des hôtes qui s’appelaient Paul Bocuse et Pierre Hermé…
Aujourd’hui, dans l’établissement que le couple a rénové au bord du lac de Soustons (6 chambres modernes et confortables rendent le site plus attractif), il propose les civelles au meilleur prix -30,50 € les 100 grammes, 45 € les 150 grammes et 59,50 € les 200 grammes- sachant qu’il les a payées 200 € le kilo. La pibale mérite le respect, la cuisiner requiert de l’expérience et il existe des écoles différentes. Michel Batby ne la blanchit pas, il la passe trois fois dans de l’eau chaude et trois fois dans de l’eau froide et n’enlève pas totalement le gluant qu’il juge indispensable pour faire ressortir le goût.
Faut-il cuisiner la pibale à l’espagnole?
Pour les mêmes raisons (le goût) il tient l’huile d’olive à distance lui préférant une huile neutre. Il fait sauter les civelles –un aller retour de 2 minutes- en remuant la poêle qui, volontairement, n’est pas trop chaude pour ne pas les brûler et les assécher, un défaut assez fréquent. Le feu du piment et la force de l’ail ne l’intéressent pas, le Landais acclimate des épices dont il garde le secret. La dégustation tient lieu de preuve: le goût de la pibale est bien présent, c’est gourmand et sensuel, vous ne laissez pas la moindre trace au fond de l’assiette creuse. Régalez-vous de civelles et n’oubliez pas de commander la glace à la cacahuète fraîche de la ferme Darrigade, à Soustons, pour le crémeux et la pureté du goût.
Jean Coussau, à Magescq, qui a réussi le tour de force d’avoir de la pibale à 80 € le kilo (çà n’a pas duré !) est réservé lui aussi face à la manière espagnole très répandue chez nous. Il utilise l’huile de tournesol qu’il fait chauffer avec des pétales d’ail et des lamelles de piment avant de la filtrer et évite de saisir les civelles en les laissant cuire doucement. Enfin, se démarquant de la méthode espagnole, Jean Coussau ne les sert pas bouillantes mais tempérées, « comme une salade tiède », précise-t-il. Le goût en sort renforcé.
A Bordeaux, à la Tupina, Jean-Pierre Xiradakis est dans les habitudes ancrées en Guipuzcoa et en Biscaye, de l’autre côté de la Bidassoa: il convoque l’huile d’olive, l’ail et le piment. Ramuntcho Courdé (le restaurant Arrantzaleak, à Ciboure) est dans le même registre.
Un article de Jacques Ballarin publié dans Le Mag Sud Ouest du samedi 15 février.
Auberge Batby 63 avenue de Galleben au bord du lac 40140 Soustons 05 58 41 18 80
Un commentaire sur "Le goût (trop rare) de la pibale et comment les chefs aiment la cuisiner"
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